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Bons morceaux de Russie

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ConcertoNet.com by Didier van Moere

On devait entendre la rare cantate Saint Jean Damascène de Taneïev et Alexandre Nevski de Prokofiev. Mais le chœur ne pouvait pas respecter les règles de distanciation imposées par la situation sanitaire. Stanislav Kochanovsky a ainsi dirigé des extraits de La Fille de neige et de Casse-Noisette de Tchaïkovski. Cette Fille de neige, un conte populaire transformé en drame par Alexandre Ostrovski, est plus connue à travers l’opéra de Rimski-Korsakov, qu’on a pu voir en 2017 à Bastille. La partition de son aîné, fondée essentiellement sur des chants populaires, est une musique de scène à numéros, autant de pépites qu’on gagnerait à mieux connaître.

Les numéros choraux, le monologue de Bonhomme Hiver au premier acte et la Chanson de Broussila du quatrième, dévolus à des ténors, ayant été supprimés vu les circonstances, on a entendu les pages orchestrales – environ moitié de l’ensemble. Il a suffi d’en écouter l’Introduction pour percevoir les qualités de Stanislav Kochanovsky, au geste à la fois précis et généreux : direction d’une idéale souplesse rythmique, très évocatrice, pleine des couleurs et des saveurs de la nature. Et l’Orchestre de Paris, gratifié de nombreux solos superbement interprétés – la clarinette de Pascal Moraguès dans la troisième Chanson de Lel –, est d’une légèreté, d’un raffinement magnifique, tous pupitres confondus, avec des cordes moelleuses dans l’Entracte du deuxième acte, que le chef ne fait jamais dégouliner. Tout n’est ici que plaisir de gourmet. Agunda Kulaeva, qui a troqué la partie d’alto d’Alexandre Nevski pour les chansons du berger Lel, a-t-elle cette Fille de neige à son répertoire ? La voix est belle mais les registres ne se soudent pas toujours parfaitement et la deuxième chanson, au tempo rapide, manque de volubilité, c’est dans la troisième qu’elle donne davantage sa mesure. 

Les extraits de Casse-Noisette n’ont pas moins séduit à la fin du concert, par leur éclat ou leur poésie: la « Bataille », où la transparence le dispute à la violence, anticipe sur celle d’Une vie de héros, alors que les valses, trop souvent épaissies, glissent avec chic sur les parquets cirés.
 
Du programme initial, seul le Concerto pour piano de Scriabine a survécu, sous les doigts d’un Bertrand Chamayou des meilleurs soirs, accompagné par un orchestre très présent. Profondeur du toucher, palette de couleurs rehaussent l’œuvre – pas un chef-d’œuvre – de jeunesse, qu’il rapproche opportunément de Rachmaninov, à travers une approche rhapsodique qui libère tout en les maîtrisant les envolées du clavier. Il donne en bis, pour rester du coté de la Russie, un très joli A manière de... Borodine de Ravel. Le chef, lui, en restera à Casse-Noisette, avec deux « tubes » du second acte : la « Danse de la Fée Dragée », toute en subtilité, et le « Pas de deux », d’un lyrisme intense mais pas racoleur.
Didier van Moere